Nous sommes le 6 septembre 2020, soit seulement quelques jours après la rentrée et le métier de professeur des écoles que j’aime me fait mal.
Il me fait mal car l’institution a oublié de nous donner les moyens de travailler dans des conditions acceptables.
Je suis enseignante en classe de CM2 et directrice d’une école de 9 classes qui compte plus de 200 élèves. Pour faire vivre cette école, j’ai 1/3 de décharge de direction. Cela veut dire que j’ai le lundi et un vendredi sur trois pour gérer « une entreprise » de 9 enseignants, 3 AESH et 203 élèves. Parmi mes 203 élèves, 12 font partie d’un dispositif ULIS (Unité Localisée pour L’Inclusion Scolaire des élèves en situation de handicap) ce qui nécessite beaucoup de temps et d’organisation. Ceci est mon premier cercle de travail et je dois ensuite informer, guider, rassurer 203 familles soit plus de 400 personnes. Je n’ai aucune aide administrative, aucune autonomie de décisions (tout doit passer par l’inspecteur ou la collectivité selon les besoins) et je suis au même niveau hiérarchique que mes collègues professeurs tout en ayant un devoir d’animation d’équipe.
Je dois également jongler avec des rôles de professeur (maths, français, anglais, histoire, musique, sciences…), de secrétaire, de standardiste, de manager, de psychologue, de médiateur, d’infirmière, de webmaster, de chargée de communication…une multitude de casquettes et de responsabilités pour une indemnité brut mensuelle de direction de 344 €. Mon temps d’activité n’a aucune limite puisque je travaille à la mission et tant que mes corrections, la préparation de mes cours, la direction, ne sont pas terminées, je continue cette course permanente. Je travaille à l’école, chez moi, les soirs, les week-ends, pendant les vacances scolaires au détriment souvent de ma vie personnelle et la crise sanitaire actuelle vient encore plus fragiliser les directeurs d’école.
Ce vendredi, un cas covid a été diagnostiqué au sein de mon établissement. J’ai eu l’information à 19h30. Le rouleau compresseur administratif s’est ensuite mis en route. L’ARS a décidé de fermer 2 classes de mon école pour 14 jours dont la mienne. J’ai dû informer les familles et répondre à leurs nombreuses questions légitimes. Je peux compter sur une équipe de circonscription formidable (inspecteur et conseillers pédagogiques) mais j’ai dû travailler de 19h30 à 2h30 du matin pour réaliser cette mission. Après une semaine qui a compté plus de 60 heures de travail, dans mon salon et sur du temps personnel, j’ai dû écrire des mails, contacter par téléphone certaines familles et faire face aux menaces, aux peurs et aux angoisses des parents. Il a fallu mobiliser toute mon énergie restante, ma résilience et ma bienveillance pour expliquer et rassurer les familles.
Samedi matin, dès 7h, je répondais à nouveau aux mails des parents arrivés la nuit et publiais les dernières informations sur le site internet de l’école. Mon weekend a été dédié à cette gestion Covid. Je dois aussi rassurer mes collègues qui se creusent la tête pour mettre en place, au sein de l’école, d’autres mesures préventives supplémentaires alors que nous respectons déjà à la lettre un protocole sanitaire national qui permet d’accueillir, pour ma classe, 27 élèves sans masque, 6 heures par jour dans une pièce qui fait moins de 50 m2. Nul n’est tenu à l’impossible mais ce métier est à part. Il est à part parce que nous, enseignants, avons un sens fort de l’engagement pour nos élèves et nos familles. Mais voilà, la profession s’essouffle faute de moyens, faute de reconnaissance et faute d’un salaire à la hauteur de notre mission.
J’entends mes collègues évoquer de plus en plus l’envie de partir de l’Education Nationale. Est-ce vraiment la solution ? C’est une idée que j’ai en tête mais j’aime profondément mon métier qui a beaucoup de sens pour moi : « j’accompagne et je forme les citoyens, les collaborateurs et les dirigeants de demain ». J’ai envie aujourd’hui de partager et d’expliquer notre quotidien à toutes les personnes qui ont une vision erronée de notre métier. La profession souffre du bashing et a plus que besoin du soutien des parents, de l’opinion publique pour continuer à avancer et avoir ainsi assez de force pour exiger des conditions de travail acceptables pour nous mais aussi pour vos enfants.