INTERVIEW – Faire ses devoirs, se concentrer, ouvrir un livre… Pour certains petits, rien de tout cela n’est évident. Alors, comment faire? La pédagogue Anne-Marie Gaignard explique au Figaro pourquoi il est essentiel d’habituer les enfants le plus tôt possible à la lecture.
Pour certains enfants, il est difficile de se concentrer. Après une journée à l’école, ils ne tiennent pas en place, courent partout. Impossible de canaliser cette énergie. Que faire? L’auteur Anne-Marie Gaignard s’est penchée sur la question. La pédagogue et formatrice engagée dans la lutte contre la détresse scolaire est à l’origine de la méthode de remédiation orthographique Hugo et les rois Être et Avoir. Elle revient en librairies et publie Hugo et les clés de la concentration, (Le Robert). Dans cet ouvrage, elle donne des conseils aux parents pour aider leurs filles et leurs garçons à se poser et retrouver le plaisir de la lecture.
LE FIGARO. – En quoi la lecture de votre ouvrage peut-elle aider les enfants à apprendre à se concentrer?
Anne-Marie GAIGNARD. – Contrairement à ce que l’on pourrait croire, si l’on sait lire, on ne sait pas nécessairement écrire. Et réciproquement. Des enfants peuvent être très bons en lecture et très mauvais en orthographe. Cela a été prouvé, ce ne sont pas les mêmes zones du cerveau qui travaillent dans ces moments-là. Il y a donc d’un côté les bons lecteurs, c’est-à-dire ceux qui se concentrent automatiquement et de l’autre, les mauvais lecteurs. Ceux-là sont parfois des enfants qui adoreraient lire mais qui n’y parviennent pas.
L’enfant qui a des difficultés avec la lecture est dans une phase de décodage. Il n’est pas forcément dans la compréhension globale de la phrase. Il y va donc par morceaux. Alors, quand il aura fini de lire, il ne saura pas de quoi parle son texte. La lecture peut aider les turbulents, les hyperactifs et, plus généralement, les enfants à se concentrer à condition qu’ils fassent travailler leur image mentale. C’est pour cela que Le Robert a choisi une police d’écriture spécifique. Les lettres sont arrondies, espacées. Le texte est aéré. Tout est fait pour faciliter la compréhension et permettre la concentration.
Est-il nécessaire de verbaliser les problèmes d’un enfant lorsqu’il est en difficulté?
Il y a toujours un langage positif à tenir. Exemple: «J’ai confiance en toi», «je vais t’aider», «on va essayer ensemble». Il faut montrer à l’enfant que l’on comprend sa difficulté. À la maison, les parents ont un peu tendance à accueillir un élève qui rentre de l’école. Or, il reste un enfant. Il faut donc insister sur le mot «ensemble», s’asseoir à une table – pas l’un en face de l’autre, mais l’un à côté de l’autre – et trouver le discours qui aidera concrètement l’enfant. Pas question toutefois d’utiliser des «mots choc». Le «choc», il le vit toute la journée à l’école. Pour éviter que les devoirs tournent au pugilat, il faut donner un cadre fixe à l’enfant. Montrer où il est bon.
» LIRE AUSSI – «On condamne les enfants qui n’ont pas le profil idéal pour l’école d’aujourd’hui»
Un enfant en difficulté peut toujours s’en sortir…
Oui, j’en suis convaincue. C’est pour cela que je me lève tous les matins. Après vingt ans d’expérience, les enfants, adolescents et adultes qui sont passés entre mes mains sont sortis de leurs difficultés.
Vous proposez nombre d’exercices dans votre livre, dont des travaux d’écriture…
Oui, car les enfants adorent écrire! Ce, même s’ils font des fautes. Je ne vais pas faire une polémique contre les outils numériques. Quoique les smartphones deviennent un peu notre mémoire… Néanmoins, si l’on enlève le geste du stylo, on enlève une part de l’apprentissage. Il faut que cela reste naturel et instinctif.
Vous invitez également les parents à se joindre à certains exercices. Est-il important que l’enfant soit accompagné dans sa lecture?
Oui. Il est nécessaire d’habituer son enfant le plus tôt possible à la lecture. Et ce, même avant qu’il naisse! On sait qu’il se passe nombre de choses en intra-utérin… C’est très bien si le papa ou la maman prend le temps de lire avec son fils ou sa fille. L’enfant peut par exemple commencer un paragraphe et le parent, lire le deuxième et ainsi de suite. De cette manière, les enfants qui auraient du mal à lire parviennent à s’accrocher. Les enfants ont besoin d’être accompagnés au début!
Quel moment est préférable?
Coller un livre dans les mains de l’enfant quand il rentre de l’école fatigué n’est pas une bonne idée. Il faut trouver le bon moment pour faire une pause. Mon livre commence d’ailleurs de cette façon. La maman est épuisée à la sortie de son travail. Comme son petit garçon, elle se détend pendant vingt minutes. Il est essentiel que durant ce temps, le parent laisse l’enfant mettre son cartable où il veut, faire ce qu’il veut. Chacun souffle. Ainsi, lorsque l’enfant voit que sa mère ou son père a, comme lui, besoin de se reposer, cela met de l’osmose dans la maison. Après ce repos, on peut commencer à lire ensemble.
Un livre jeunesse, par exemple?
Si on veut que les enfants se mettent à lire, il faut les laisser choisir un thème qui va leur plaire. Cela peut-être les dinosaures, le Moyen Âge, l’aérospatiale… Tout convient. Il ne faut pas que le parent impose un sujet qui lui plaît sans consulter sans fils ou sa fille.
Faut-il plutôt un livre avec beaucoup d’images?
Si on veut amener les enfants à devenir de bons lecteurs, il faut des images. Si on les supprime trop tôt, ils ne rentreront pas dans les histoires qui leur seront proposées. Un peu d’images pour illustrer une scène sont suffisantes. En revanche, la bande dessinée peut être troublante: lorsque les enfants voient tout plein de carrés, ils auront envie de les lire comme un tableau, de haut en bas…
Ce qui est important, c’est d’être côte à côte durant le temps de lecture. Si l’enfant dit qu’il n’en a pas envie, il faut lui rappeler que vous êtes ensemble. Que vous n’avez pas le choix mais que vous allez vous y coller tous les deux. Dans le livre, je donne un exercice qui s’appelle «visualisation». C’est le fait de se raconter une histoire, de s’en faire un déroulé mental. Pour ce faire, il faut fermer les yeux. Vous verrez, c’est miraculeux! La visualisation permet de lâcher prise et de se mettre en condition avant de travailler. À quel moment dit-on aux élèves de fermer les yeux? Jamais. De la même façon, si une maîtresse a une classe agitée et qu’elle leur demande de se mettre dans la position du «huit», comme je l’explique dans mon livre, elle obtiendra le silence en dix secondes.
Corps et esprit seraient donc liés durant la lecture?
Oui, il faut encourager la lecture en mouvement. Or, tous les enfants un peu atypiques sont sous RitalineTM. Au lieu de les éveiller, on les endort. C’est très grave. Alors à quel moment l’enfant va-t-il se défouler? À la maison. Il ne faut donc pas hésiter à lui donner du temps pour courir, crier… Mais pas plus de vingt minutes et cela, il faut le lui expliquer. Si l’on fait confiance à un enfant et qu’on lui donne des responsabilités, il assurera. Plus on séquence son temps, plus il s’y retrouvera. Les parents ont cette responsabilité de responsabiliser l’enfant. Même le plus petit. Il faut donc arrêter de l’infantiliser.
Hugo et les clés de la concentration, d’Anne-Marie Gaignard (Le Robert), 96p., 15,90 euros.
Alice DEVELEY – LE FIGARO